Le Tour du monde en moins de 80 jours — Épisode 5

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— Ouf ! s’écria Georges lorsqu’il descendit du train. J’aime mieux le bateau ! Il est vrai que je vais avaler la plus longue et la plus dure corvée !
C’est le mercredi 13 janvier, à midi, que Georges entra dans la capitale de la Californie.
— Mais, je suis en Chine ! murmura-t-il.
En effet, il l’eût pu croire. Devant la gare, c’étaient des groupes de Chinois, les tresses noires roulées autour de la tête, qui attendaient les voyageurs pour porter les bagages. C’est que San-Francisco renferme près de cinquante mille Chinois venus pour faire fortune comme domestiques.
— Conduisez-moi, dit-il à un guide, à l’embarcadère pour Yokohama !
— Il y a cinq minutes de marche…
L’ancienne ville des aventuriers chercheurs d’or, où l’on ne circulait jadis que le revolver à la ceinture et le fusil en bandoulière, rappela Nice à notre voyageur qui trouva au Pacifique quelque ressemblance avec la Baie des Anges. D’ailleurs, il n’avait pas le temps de regarder !
— Quand part le prochain paquebot pour Yokohama ?
— Ce soir, à cinq heures.
— Mon indicateur me l’avait indiqué ; mais je voulais être fixé… Combien le passage ?
— Trois cents dollars ! Première classe.
— C’est un prix fait, comme pour les petits pâtés !
Georges prit possession de sa cabine et, se voyant libre pendant quatre heures, décida d’aller par la ville, se dégourdir un peu les jambes. Il lui semblait qu’il était un autre que lui-même… il se sentait abandonné de l’univers et triste, triste avec une angoisse qui, par moments, le prenait à la gorge. Il se disait qu’un Américain n’eût pas éprouvé de ces sentiments vagues… et il s’expliquait pourquoi nous sommes pas un peuple de voyageurs… On l’appelait le voyageur, lui ! Qu’était-il à côté de ses compagnons de route, qui avaient supporté la traversée de l’Amérique en wagon, aussi dispos de corps et d’esprit que s’ils fussent allés de Paris à Asnières !
Ce n’était plus le désir de battre le record du monde, qui l’animait, mais la volonté de revenir en France, de rentrer à Paris, de revivre sa vie normale ! Oh ! le boulevard des Italiens et même la rue du Sentier !
Je voudrais revenir bien vite en France, monsieur ! cria-t-il à l’employé qui le reçut.
— Monsieur, je comprends ça ! lui fut-il répondu.
Enfin ! il avait affaire à un Français ! Il tendit la main à son compatriote :
— Entendre toujours parler anglais, dit-il, cela m’affolait !
Le paquebot le Djemnah, des Messageries maritimes, partait le 1er février pour Marseille ! La chance le suivait jusqu’au bout ! Cela lui avait réussi de partir un vendredi ! Maintenant la longueur de la route ne l’inquiétait plus ! La gaieté lui revenait. Il serait sur un navire portant le pavillon tricolore, conduit par des Français, mangerait de la cuisine française !
— Mais, des passagers français, vous n’en trouverez qu’à Saïgon.
— C’est à deux pas d’ici ! répliqua Georges, en souriant.
Il passa l’après-midi en compagnie de l’employé, qui le conduisit au consulat de France, où il déposa sa carte et fit écrire une attestation de son passage. Ne se fallait-il pas donner des preuves à son ami V… ? Maintenant, il s’intéressait à la vue des petits Japonais, vêtus à l’européenne, et des boys aux jambes nues, courant par les rues, un chapeau de paille conique sur la tôle, vêtus de toile bleue, et traînant des petites voitures où se prélassaient les gentlemen du pays et leurs épouses.
Au dîner, il réclama du champagne. On lui en servit de l’excellent, qu’on ne lui fit payer que sept yens (trente francs la bouteille). Mais n’était-ce pas l’argent gagné au poker ?
— Combien va me coûter le voyage de Yokohama à Marseille ?
— En première classe ?
— Naturellement.
— Dix-sept cent quinze francs.
— C’est pour rien !
Le lendemain, il s’embarquait, ragaillardi. Il lui semblait qu’il venait de monter une côte très dure et qu’il était arrivé au moment de la descente. Ca irait tout seul !
À Shang-Haï, une troupe de comédiens français montait à bord, en troisième classe, et donnait le soir, ― pour se faire quelques sous, car la tournée avait été mauvaise, ― des représentations des Dragons de Villars et du Maçon !
À Hong-Kong ― dont le port renferme des modèles de navires du inonde entier, ― le Djemnah faisait relâche pendant cinq heures, pour embarquer des ballots de marchandises à destination de l’Europe. Georges n’osait s’aventurer dans le quartier chinois et resta à bord.
À Saïgon, nouvel arrêt, le pont du Djemnah, amarré à New-Harbour, était envahi par des Malais, qui venaient offrir leur pacotille, et par les coolies qui embarquaient du charbon. Georges tressaillit tout à coup, il venait d’apercevoir, sur le quai, des pantalons rouges ! C’étaient des officiers et des soldats rapatriés du Tonkin, des convalescents qui allaient monter a bord. Il poussa un grand cri :
― Vive la France !
Cette fois, il était tout à fait remis de ses tristesses ! Jusqu’en France, pendant les longues heures de la journée, il allait pouvoir s’entretenir de choses l’intéressant, parler de la patrie ! Des fonctionnaires s’embarquaient également. Et c’étaient chaque soir, avec plus de cordialité que lors du voyage du Havre à New-York, des causeries sans fin…
Singapour, un nom de légende, Colombo, ville enfouie dans la merveilleuse végétation de Ceylan, avec ses palmiers, ses palétuviers, ses cocotiers, ses manguiers, virent le globe-trotter pendant les quelques heures d’arrêt du Djemnah. Puis ce fut Aden, la ville arabe. Georges s’amusa fort de voir de petits nègres qui vinrent par douzaines, nager autour du navire en criant : À la mer ! À la mer! pour qu’on leur jetât des pièces de monnaie qu’ils allaient chercher sous l’eau en plongeant. Vint le soleil de plomb de la mer Rouge, si fatal aux anémiés, et le Djemnah alla sans arrêt jusqu’à Suez.
Georges avait eu à souffrir du froid, du Havre à New-York. Il avait souffert de la chaleur de Hong-Kong jusqu’à Aden. Maintenant, c’était la torture, la gorge sèche, la respiration haletante…
Le supplice prenait fin dans le canal de Suez, franchi sans encombre. Puis c’était Port-Saïd franchi…
― Marseille !

Rendez-vous dimanche prochain, pour découvrir la suite des aventures de Georges dans son voyage autour du monde, dans son défi contre le temps !

Roxane Lecomte
Plus connue sur la toile sous le nom de La Dame au Chapal, arrivée chez Publie.net fin 2011, graphiste, est responsable de la fabrication papier et numérique, est passionnée de littérature populaire et d'albums jeunesse. N'a pas peur de passer des nuits blanches à retranscrire des textes sortis des archives du siècle dernier.

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