Une ville souterraine par Charles Carpentier (1887) — Épisode #13

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Chapitre XIII
La bibliothèque de Métella

 

Un de mes premiers soins, après mon installation, fut de visiter la bibliothèque, qui se trouvait dans une aile de l’habitation. Je pénétrai dans une longue salle, entre deux rangées de bustes en bronze, en marbre ou en plâtre, qui représentaient les personnages les plus illustres de la Grèce et de Rome. Derrière ces bustes, le long des murailles, se trouvaient des casiers numérotés, contenant une quantité de rouleaux disposés horizontalement, les uns à côté des autres, comme les rouleaux qu’on voit dans les boutiques des marchands de papiers peints.
Au fond de la salle, des armoires de cèdre ornées d’ivoire laissaient apercevoir, à travers leurs portes vitrées, des livres placés perpendiculairement, sur des rayons, et qui, pour le format et la reliure, ressemblaient assez aux nôtres.
Dans les angles, entre les armoires et les murailles, sur des tables recouvertes d’étoffes de laine noire, travaillaient, ― les pieds allongés sur des nattes ou des tabourets finement empaillés, ― des scribes qui copiaient des manuscrits, et un bibliothécaire qui lisait.
À mon approche, ils se levèrent et m’offrirent de me faire les honneurs de toutes les richesses bibliographiques qu’ils possédaient.
Ils commencèrent par mettre sous mes yeux quelques-uns des rouleaux qui se trouvaient dans les cases. Ces rouleaux étaient enveloppés d’une peau, ou d’un parchemin de couleur jaune ou rouge, et serrés par un ruban. En les déroulant de gauche à droite, j’aperçus de longues feuilles de papyrus, couvertes d’une grosse écriture correcte et lisible, et divisées en petites colonnes, pareilles à celles que nous voyons dans les journaux. Les titres ou chapitres de ces ouvrages étaient écrits avec une encre de couleur rouge, et quelquefois entourés de dessins, ou d’espèces d’enluminures.
Il y avait des rouleaux dont les feuilles étaient d’une longueur d’environ vingt mètres, c’est-à-dire deux fois plus grande que la feuille de papyrus qu’on peut voir encore aujourd’hui au musée du Louvre, et que les égyptologues appellent le Livre des Morts. Il ne saurait être douteux que, parmi les papyrus qui ont été trouvés à Thèbes, à Memphis et dans le Serapéum, et qui se trouvent disséminés dans les musées de Turin, de Londres, de Leyde et de Paris, il existe encore beaucoup de manuscrits dont les dimensions sont aussi considérables.
À l’extrémité de ces feuilles était fixée une verge en os ou en ivoire, qui servait à les replier, et, comme cette baguette se trouvait au centre du rouleau, lorsqu’il avait été ainsi replié, on l’appelait umbilicus.
De l’extrémité de l’étui qui recouvrait ces papyrus, sortait une étiquette indiquant le nom de l’auteur ou le titre de l’ouvrage. Lorsqu’il y avait plusieurs volumes pour le même ouvrage, ils étaient réunis dans un coffret qu’on appelait scrinium.
Le livre qui était ainsi roulé s’appelait volumen.
Le bibliothécaire et les scribes me présentèrent ensuite les livres de forme carrée qui étaient renfermés dans les armoires. Ils étaient recouverts de morceaux d’étoffe de couleur variée, de cuir ou de lamelles d’ivoire, comme nos livres d’heures, et munis d’un fermoir en cuir. Les feuillets de parchemin, brochés comme les nôtres, étaient écrits des deux côtés, et présentaient des marges comme celles que nous voyons dans nos livres imprimés.
Le livre qui était ainsi cousu par feuillets, au lieu d’être roulé, s’appelait codex.
À l’aide d’un catalogue très ingénieusement rédigé, on pouvait mettre immédiatement la main sur le volumen ou le codex qu’on voulait se procurer.
En félicitant le bibliothécaire de l’ordre qui régnait dans la distribution de tous ces ouvrages précieux, écrits en langue latine ou grecque, je ne pus m’empêcher de lui faire remarquer que, avec toutes les lenteurs de l’écriture à la main et le prix de la main-d’œuvre, la diffusion des livres des savants et des gens de lettres devait être bien difficile.
― Ce serait une grande erreur de croire, me répondit-il, que chez les anciens peuples la culture intellectuelle n’était pas très développée. Il suffirait de rappeler l’immense quantité de livres qui était accumulée dans les grands centres de population de l’Égypte, de la Grèce et de Rome, et qui était mise à la la disposition du public. La bibliothèque d’Alexandrie, qui avait été fondée par les Ptolémées contenait, dit-on, 700.000 volumes. La bibliothèque du temple de Sérapis en renfermait 300.000. Tout le monde a entendu parler de la grande bibliothèque de Memphis, qui avait été fondée par Osymandias, en Grèce. On citait la bibliothèque d’Athènes, et, en Asie, celle de Pergame, qui contenait 200.000 volumes. À Rome, il y avait la bibliothèque de Paul-Émile, celle d’Asinius Pollion, qui se trouvait dans l’atrium Libertatis, sur le mont Aventin, celle d’Auguste, qui se trouvait dans le temple d’Apollon, et les bibliothèques octaviennes, qui se trouvaient sous le portique d’Octavie, dans le temple de la Paix. Il est bien entendu que je ne parle ici que des bibliothèques ouvertes au public. Une foule de savants, d’orateurs, de poètes, tels qu’Euclide, Euripide, Aristote, Cicéron, Atticus, Lucullus, avaient aussi des bibliothèques particulières dont l’accès était facilement accordé aux esprits lettrés et curieux, et l’on peut dire que, depuis cette époque, toutes les familles riches ont tenu à honneur d’imiter un pareil exemple. Le goût des livres était universel et le métier d’auteur, parfois, très lucratif. Les pièces de théâtre, surtout, rapportaient beaucoup d’argent, et, chez nous, dès le temps de Plaute, le préteur les payait au poids de l’or. Mais pour entasser de tous les côtés ces millions de livres, il fallait entretenir des milliers de scribes, et vous pouvez juger, par là, du degré d’activité intellectuelle qui existait chez les anciens.
― Pourriez-vous me dire, lui demandai-je, de quels matériaux ils se servaient pour écrire ces livres ?
— Ils se servaient, me répondit-il, de toile de lin, de parchemin, ou de papyrus.
Je soupçonne fort, continua-t-il, qu’on a commencé à se servir de la toile, parce que la fabrication des tissus avec le lin remonte à la plus haute antiquité, et que l’idée d’employer des bandes de tissus pour faire des rouleaux a dû se présenter, d’abord à l’esprit.
― En effet, lui répondis-je, je me souviens avoir vu, dans nos musées, des bandes de fine toile chargées de caractères hiéroglyphiques et des tablettes de scribes égyptiens avec leurs roseaux. Tous ces objets, qui sont parfaitement conservés, ont, au moins, trois ou quatre mille ans d’existence.
― Après avoir découvert le moyen d’écrire sur la toile, on a découvert le moyen d’écrire sur des peaux de mouton ou de chevreau ; mais je suppose, ajouta le bibliothécaire, qu’il s’est encore écoulé un long temps avant qu’on ait obtenu des parchemins convenablement préparés. Ce n’est que plus tard, suivant mon opinion, qu’on a imaginé de se servir du papyrus. Le papyrus est une sorte de roseau qui croît dans les eaux dormantes du Nil, et dans les environs de Babylone. On divisait son écorce intérieure en lames très minces, on étendait ces lames sur une table, et on les mouillait avec de l’eau du Nil ou avec de la fleur de farine bouillie dans l’eau, avec un peu de vinaigre, pour les coller. Puis, après les avoir pressées, en les frappant avec le marteau, on les faisait sécher au soleil. On obtenait ainsi un produit excellent pour recevoir l’écriture. Quant aux tablettes d’ivoire, recouvertes de cire, sur lesquelles on écrivait avec un style, il est à peine utile de les mentionner, parce qu’on ne s’en servait que pour les affaires courantes et de peu d’importance. L’écriture sur la cire ne pouvait servir pour les livres, parce qu’elle s’effaçait trop rapidement.
― Je suis chargé, lui dis-je, de rédiger un mémoire sur les grandes découvertes industrielles et politiques des temps modernes : sur quoi me conseillez-vous d’écrire ces mémoires ?
― Cela dépend, dit-il, de la destination que vous voulez donner à ces mémoires. Si vous voulez faire un gros livre pour les bibliothèques, il faut écrire sur le papyrus. Caïus et Tibérius Gracchus, Cicéron, Auguste et Virgile ont écrit sur du papyrus, et Pline l’Ancien déclare avoir vu plusieurs fois leurs manuscrits. Si vous voulez faire un livre populaire à prix réduits, et qui circule aisément dans toutes les mains, il faut vous servir du parchemin.
Martial a dit :
« Achète les livres de petit format écrits sur parchemin. Il faut un coffre pour les gros livres. Le mien tient dans la main. »
À ce moment, un coup de sonnette retentit derrière nous ; car les Romains avaient de petites sonnettes, comme nous, à leurs portes, depuis Auguste.
L’un des scribes alla ouvrir, et m’apporta le programme du spectacle du jour, qui était conçu littéralement ainsi :
« Aujourd’hui, cinquième jour avant les Ides, troisième des grandes fêtes de Cérès, la troupe d’Ambivius Turpion, engagée par les nouveaux édiles, jouera le Carthaginois, du Grec Ménandre, traduite par M. Accius Plaute, en langue barbare, musique de Claudius, sur le mode névien, avec les flûtes syriennes. »
Pour voir jouer, dans un théâtre romain, par des acteurs romains, et devant un auditoire de grandes dames romaines, une pièce de Plaute, qui écrivait près de deux cents ans avant Jésus-Christ, j’aurais volontiers risqué ma vie. J’engageai mon bibliothécaire et mes scribes à m’accompagner, et, avant le lever du rideau, nous occupions des sièges de face, vers le milieu des gradins du théâtre Balbus.

 

On ne saurait trop vous conseiller après cette lecture de vous plonger dans le livre d’Albert Robida & Octave Uzanne : [button link= »http://librairie.publie.net/fr/ebook/9782814507036/la-fin-des-livres » round= »yes » size= »normal » color= »red » flat= »no » ]La fin des livres[/button]

Roxane Lecomte
Plus connue sur la toile sous le nom de La Dame au Chapal, arrivée chez Publie.net fin 2011, graphiste, est responsable de la fabrication papier et numérique, est passionnée de littérature populaire et d'albums jeunesse. N'a pas peur de passer des nuits blanches à retranscrire des textes sortis des archives du siècle dernier.

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