Tous les dimanches, dans les colonnes d’ArchéoSF, le fameux journaliste Jean Lecoq prend la plume dans la rubrique L’œil de Lecoq !
Un citoyen de la ville de San Antonio, au Mexique, vient de solliciter du gouvernement mexicain l’autorisation de faire transporter un trésor d’or et d’argent en barres et monnaies, découvert par lui près de Monterrey, dans les montagnes de la Silla. Ce trésor s’élèverait, d’après son évaluation, à plus de soixante-dix millions de pesos or.
C’est en compulsant les archives de l’Etat, que M. Fisher découvrit que, pendant une révolution, en 1810, le trésor avait été enfoui à Cavallo Blanco par des officiers du gouvernement. Il se rendit immédiatement à l’endroit indiqué et trouva la cachette. Elle contient, assure-t-il, 8.884 barres d’or, 4.560 barres d’argent et 7 millions et demi de pièces de monnaies.
Voilà, certes, un fouilleur d’archives bien récompensé de sa curiosité.
Pareille chance, il est vrai, n’est pas commune. Cet homme a trouvé un trésor sans le chercher. Combien d’autres en cherchent sans jamais les trouver !
En général, les recherches de trésors coûtent plus cher qu’elles ne rapportent. Telles celles qui eurent pour effet de retirer du fond de la mer les richesses de l’Armada ou celles des galions de Vigo.
Dans la baie de Tobermory, où sombra, en 1588, la Florida, vaisseau amiral de la fameuse armada de Philippe II, on a maintes fois tenté, depuis trois siècles, de retrouver les trésors de l’escadre qui se trouvaient, dit la légende, à bord de ce bâtiment.
On découvrit l’épave, en effet, mais on n’a jamais réussi à remonter que quelques débris de la coque du navire, quelques ornements de la poupe, des boulets de pierre, et quelques pièces de monnaie espagnole dont la valeur fut loin de compenser les frais entraînés par ces recherches sous-marines.
Il en fut de même pour les galions de Vigo, les galions gorgés d’or qui, en 1702, ramenaient en Espagne d’immenses richesses extraites des mines de l’Amérique du Sud, et qui furent engloutis au moment où ils allaient toucher le port. Plus de 700 millions, dit-on, auraient sombré avec eux. Depuis deux siècles, de nombreuses tentatives ont été faites pour retirer cette fortune du fond de la mer. Elles ne furent pas tout à fait infructueuses : on estime à six ou sept millions la valeur des lingots qui purent être extraits du gouffre. Mais combien a-t-on dépensé pour ce mince résultat ? Et la plus grosse part de cette fortune ne restera-t-elle pas éternellement sous les flots ?
Les recherches au fond de la mer ont donné quelquefois des résultats. On a retiré à peu près deux millions de la Lutine, vaisseau anglais qui sombra en 1799 sur les côtes de Hollande ; à Cérigo, on a réussi à retrouver des statues et des vases qui se trouvaient à bord de galères romaines dont le naufrage remonte à plus de deux mille ans… Mais au prix de quels labeurs et de quelles dépenses ces résultats furent-ils obtenus ?
La terre, cependant, dissimule mieux encore que la mer les richesses cachées dans ses flancs. C’est presque toujours par le pur effet du hasard qu’on les découvre. Voici pourtant un cas où, grâce à son ingéniosité, un homme arracha à la terre le trésor qu’elle recelait. Nous trouvons le récit dans Les Mélanges de Castellani.
Sur une grande route de la Pouille, au royaume de Naples, rapporte cet auteur, se trouvait une statue de marbre portant cette inscription en dialecte napolitain « Le premier jour de mai, au soleil levant, j’aurai une tête d’or. » Cette statue était érigée depuis deux cents ans déjà, et personne n’avait encore trouvé le sens de la mystérieuse inscription. Un étranger (un Sarrasin, dit Castellani), passant sur cette route, lut l’inscription, crut en deviner le sens, mais ne communiqua à personne ses soupçons. Le 1er mai suivant, étant revenu dans le pays, il se rendit sur le lieu avant le lever du soleil, et, ayant remarqué l’endroit où aboutissait l’ombre de la tête de la statue au moment précis où le soleil apparaissait à l’horizon, il fit creuser la terre à cette place même et trouva un trésor enfoui.
Tous les chercheurs de trésors n’ont pas cette sagacité. Le plus grand nombre, même, manque totalement de sens critique et de raisonnement. Aussi leurs espérances de fortune n’aboutissent-elles le plus souvent qu’aux pires désillusions.
Presque toutes les histoires de trésors naissent d’un racontar, d’une tradition vague, de quelque obscure prophétie lue dans un grimoire ; elles procèdent parfois aussi de quelque symbole mal compris, et plus souvent encore de quelque récit de voyage dont les auteurs se sont laissé entraîner par l’imagination.
À chaque instant, dans les journaux anglais et américains, on lit ainsi qu’une expédition se prépare pour aller découvrir des trésors qui gisent, oubliés dans quelque île perdue au milieu des océans… Et puis, on n’entend plus parler de rien : c’est que l’expédition est demeurée à l’état de projet, faute de commanditaires… Et si, par hasard, elle s’est réalisée, c’est encore le silence qui suit les échecs et les désillusions.
C’est ainsi qu’il y a quelques vingt-cinq ans, on mena grand bruit autour de l’entreprise d’un journaliste anglais nommé Walter Knight. Ce personnage aventureux avait frété un navire et engagé un équipage dans le but d’explorer certaine île du Pacifique où, disait-il, des révolutionnaires sud-américains avaient caché, il y a un siècle, des trésors enlevés par eux aux églises du Pérou. Knight partait avec un attirail complet de mineur moderne ; il avait même une perforatrice perfectionnée pour creuser les rochers… Quand je dis qu’il partait… partit-il vraiment ?… Je l’ignore. Toujours est-il qu’on n’entendit plus parler ni de lui, ni des résultats de son expédition.
Quelle était l’île visée par Knight ?… N’était-ce pas l’île des Cocos ?… Cet îlot perdu dans le Pacifique, à quelques 300 milles au large des côtes de la République de Costa-Rica, surexcite depuis un siècle l’imagination des chercheurs de trésors.
Une légende veut que, vers 1820, des trésors y aient été cachés par un pirate péruvien nommé Buenito-Bonito, désireux de mettre ainsi en lieu sûr le fruit de ses rapines. Le forban serait mort peu de temps après, et les trésors sont toujours dans leur cachette. Leur valeur dépasserait ceux cents millions. Que de convoitises n’ont-ils excitées ! À plusieurs reprises, de véritables expéditions furent organisées pour les découvrir. Toutes sont restées infructueuses ; quelques-unes eurent une issue tragique. Cependant, cela ne décourage pas les chercheurs. Je ne sais si la guerre a interrompu les expéditions, et si, depuis la paix, il s’en est produit de nouvelles, mais en 1913, l’île des Cocos éveillait encore les convoitises — voire même les convoitises féminines. On cite, cette année-là, trois femmes qui y allèrent avec l’espoir de retrouver le trésor du pirate : deux Anglaises qui s’en tirèrent saines et sauves ; et une jeune Française, de Marseille, dont on n’eut plus aucune nouvelle.
L’île des Cocos ne semble pas près de livrer son secret… Mais est-il bien sûr qu’elle en ait un ?
Il y a encore les trésors des Jésuites… Si l’on en croit les légendes, ces fils de Loyola en auraient semé partout. Le bruit courait naguère au Brésil que les Jésuites, expulsés de ce pays en 1759, avaient enfoui leurs millions au flanc d’une colline voisine de Rio de Janeiro. La colline fut fouillée, percée de part en part. Il faut croire que les Jésuites avaient bien caché leurs trésors, car jamais personne ne les découvrit. Des Jésuites encore — mais, cette fois, ceux du Pérou — expulsés de ce pays il y a un peu moins d’un siècle, avaient emporté leurs richesses sur un navire et cinglaient vers l’Europe. Mais l’équipage ayant appris de quelle nature était le chargement, assassina les révérends pères, s’empara du trésor et alla le cacher dans une petite île déserte de l’archipel des Tuamoto, située à 624 milles marins de Tahiti, l’île Pinaki… La légende fit son chemin. En 1906, un Américain explora Pinaki sans rien trouver et se ruina si bien qu’il dut vendre le bateau qui l’avait amené.
La leçon ne servit pas. En 1914, un autre Américain arriva à Tahiti à la tête d’une expédition qui devait rechercher le trésor de Pinaki. Mais l’administration de Papeete ayant eu vent du projet crut devoir, sinon en empêcher l’exécution, du moins la surveiller.
Ayant frété un vapeur, elle choisit trois gendarmes sur les quatre qui font le plus bel ornement de la colonie, et les expédia à Pinaki où ils arrivèrent avant l’Américain.
Celui-ci, il est vrai, apprenant qu’on le faisait surveiller, avait renoncé à l’expédition, et était resté tranquillement à Papeete.
Mais les gendarmes étaient dans l’île du trésor. Comme Pinaki est un simple attoll sans eau et sans ressources d’aucune sorte, on les avait débarqués avec deux barils d’eau et quelques provisions. Ils attendirent : rien ne vint ; leur eau se corrompit, leurs vivres s’épuisèrent ; et les trois malheureux gendarmes auraient fini par mourir comme Napoléon, sur un écueil battu par la vague plaintive, si à la fin, le gouverneur de Papeete ne s’était souvenu d’eux et n’avait envoyé la canonnière Zeide pour les délivrer.
Mais le trésor des Jésuites est toujours à Pinaki.
Il y a aussi les trésors du Gange, qui sont toujours au fond du fleuve. Et ceci est une bien jolie histoire d’escroquerie. Vers 1890, on apprit qu’une société financière venait de se former pour explorer le fond du Gange et en retirer les richesses offertes, depuis des siècles, au fleuve sacré par les anciens Hindous. Tout aussitôt, une foule de gens, qui n’auraient pas donné quatre sous à une affaire industrielle de leur pays, s’empressèrent d’aller porter leur argent aux futurs explorateurs du Gange. L’escroquerie réussit à merveille. En fait de richesses, les organisateurs en recueillirent pas mal, mais ce furent celles des actionnaires. Quant au fleuve sacré, il garda ses trésors. Les bons gogos eussent bien été avisés d’en faire autant.
Est-ce à dire qu’il ne faille jamais ajouter foi aux histoires de trésors cachés ? Certes non ; et l’aventure de M. Adam Fisher et du trésor mexicain démontre qu’on peut tomber parfois sur la bonne cachette ; mais on peut aussi, et bien plus souvent, succomber à l’erreur ou être victime de l’escroquerie. Méfions-nous.
En fait de trésors, voyez-vous,le plus sûr est encore celui dont parle le bon La Fontaine dans le Laboureur et ses enfants, le trésor qu’on acquiert par son labeur. Travaillez, prenez de la peine. Au moins, vous ne devrez rien à personne si vous parvenez à acquérir ce trésor-là.
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Jean LECOQ
Le Petit Journal illustré, 24 juillet 1921
Illustration de N.C Wyeth, Absconding with the treasure