Hârou, fils de Kor, sortit de la caverne où il avait passé la nuit. Le matin était encore jeune, et le soleil des premiers âges baignait la savane d’une lumière dorée. Là-bas, entre les roseaux, le fleuve étincelait. Hârou décida d’y aller emplir son outre de peau de bête, car, avant qu’il pût rejoindre le pays des Hommes Bruns, il lui faudrait marcher pendant longtemps à travers la Contrée sans Eau.
Il prit sa sagaie et se fraya une piste parmi les herbes humides de rosée. Hârou sentait en lui une vague joie. Était-ce parce qu’il allait revoir la horde errante, et la Forêt Sombre, et le Grand Lac vert dont on n’aperçoit pas les rives ? Ou bien était-ce parce que l’Œil qui brille dans le ciel. et je ferme le soir le réchauffait agréablement sans le brûler ? Il ne savait. Mais, oubliant les fatigues passées et à venir, les pluies désolantes, les grands fauves, les nuit où rôde la crainte, la soif qui dessèche les corps, Hârou trouva que la vie était bonne. Il poussa le cri de ralliement des hommes de sa race.
Soudain, il s’arrêta net. À un jet de pierre devant lui, un être humain venait de surgir, géant velu, terrible, qui balançait une énorme massue. Hârou sut que c’était un Homme au Front Bas, farouche habitant des monts.
Or, depuis bien des vies d’homme, les guerriers qui vivent au bord du Grand Lac et ceux qui chassent par les vallées inaccessibles se haïssaient mortellement et s’entre-tuaient sans merci. La cause de cet antagonisme se perdait dans la pénombre des temps.
Hârou se rendait compte, avec regret, qu’il n’avait, ce jour-là, en son cœur, ni le désir du combat ni le goût de tuer. Quelles étaient les intentions du géant ?… L’Homme Brun résolut de faire bonne figure et d’accepter la lutte s’il le fallait.
Il avança d’un pas et cria d’une voix ferme :
« Hârou, fils de Kor, est brave ; ses ennemis n’ont jamais vu son dos ! Mais il n’est pas semblable à la Bête Rayée qui tue par jeu. Que l’Homme au Front Bas suive tranquillement sa piste, et Hârou suivra la sienne ! »
L’autre ne répondit pas. Silencieux, il fixait Hârou. Les deux hommes demeurèrent face à face pendant un long moment. Le feu du ciel commençait à brûler… Peut-être, après tout, l’Homme au Front Bas n’avait-il pas, lui non plus, la soif du sang.
Hârou se décida. Il prit son outre où restait un peu d’eau et, pour montrer ses bonnes intentions, il la lança vers l’homme des montagnes. Celui-ci, qui ne s’attendait pas au geste, la reçut en plein visage. Il grimaça. Hârou se mit à rire. L’autre, aussitôt, ramassa la gourde et, du pied, la renvoya vigoureusement à l’Homme Brun. Le fils de Kor voulut l’attraper au vol, mais, s’empêtrant dans les herbes, il tomba à terre. L’Homme au Front Bas poussa un hurlement. Rapide, Hârou se redressa, la pagaie menaçante.
Alors, du pied, lui aussi, il frappa dans l’outre. Le géant la renvoya encore. Cette fois, Hârou fut plus adroit et l’arrêta de la poitrine. Comme sa sagaie le gênait, il la jeta dans l’herbe. Chassant devant eux l’outre légère, les deux hommes coururent au fleuve pour s’y désaltérer…
Et depuis ce jour-là, les Hommes Bruns qui errent le long de l’Eau sans Fin et les Hommes au Front Bas qui hantent les sommets escarpés, vécurent en paix et chassèrent de compagnie.
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Jacques Poujades, « Une rencontre. Conte préhistorique », in L’Auto-Vélo, n° 13751, 14 août 1938, illustration S. Rémy.