Une ville souterraine par Charles Carpentier (1887) — Épisode #4
Categories Les feuilletons d’ArchéoSFChapitre IV - L’interrogatoire
La salle du palais dans laquelle Calpurnius donnait ses audiences publiques était tellement remplie de grands personnages, de courtisans et de clients, qu’il fallut, d’abord, me consigner dans un couloir intérieur, avant de me faire comparaître devant lui.
J’étais en face d’une porte latérale, qu’un des gardes avait entrebâillée, pour recevoir l’ordre de me faire approcher. J’eus donc le loisir d’examiner le costume et les visages des personnes devant lesquelles j’allais être amené.
Au premier coup d’œil, il me fut facile de reconnaître le gouverneur. Calpurnius était assis sur un siège d’ivoire, en face de moi. Il me parut qu’il portait le costume militaire d’un empereur romain, tel qu’il est représenté dans la galerie des figures, de grandeur naturelle, exposées dans une des salles de l’hôtel des Invalides, ou encore celui de la statue de Jules César, près de l’Hercule Farnèse, au Jardin des Tuileries.
Il portait un casque doré, avec jugulaires. Au sommet se dressait une aigrette de plumes rouges. Sa cotte d’armes en cuir se terminait par des lambrequins qui retombaient sur ses cuisses, et il y avait une grosse figure de Gorgone, au centre de son plastron. Son épée, à manche doré et à bec d’aigle, était suspendue à droite. Son poignard, signe du commandement, se trouvait à gauche. Son vêtement était couleur de pourpre, et sur ses jambes demi-nues on voyait des chaussures en cuir rouge, lacées jusqu’à mi-jambes. Le costume était magnifique. Mais j’examinai plus attentivement encore celui qui le portait. Calpurnius était ce qu’on est convenu d’appeler un bel homme. Il avait une haute taille. Sa figure était rasée et un peu épaisse, comme celle de Vespasien, s’il faut en croire le beau buste découvert dans les fouilles, et qui se trouve dans la salle des Bronzes, au musée du Louvre. L’ensemble du corps s’accordait avec la dignité dont il était revêtu. Il avait reçu de la nature toutes les qualités extérieures qui paraissent encore nécessaires chez les peuples primitifs, pour l’exercice du pouvoir ou du commandement.
À sa gauche, il y avait un officier supérieur, qu’on me dit être le tribun militaire.
Sa cotte d’armes était ornée de phalères et de couronnes civiques. À sa droite, suspendue à un ceinturon, se trouvait l’épée ibérique, dont le fourreau était orné de bagues et de portraits d’empereur. Son poignard, à manche d’ivoire, également orné de pierres précieuses, était suspendu comme son épée, au ceinturon, du côté gauche.
En face d’eux, rangés en demi-cercle, se tenaient des personnages de bonne mine, couverts de longs manteaux blancs à bandes de pourpre.
Je parus.
Cent regards curieux m’assaillirent. Le gouverneur, sans m’adresser la parole, me fit un signe de la main, pour me donner l’ordre d’approcher, et, avec un ton de roideur et une brièveté qu’on est plus habitué à rencontrer chez les chefs militaires que chez les représentants de la justice, il m’interrogea de la manière suivante :
— Votre nom ?
— J’appartiens, lui répondis-je, à une famille gauloise, mais je suis d’origine romaine : je m’appelle Clodius.
— Votre âge ?
— Trente ans.
— Votre profession ?
— Ingénieur-mécanicien.
— Pourquoi vous a-t-on arrêté ?
— Seigneur, lui dis-je, en me redressant, vous connaissez, sans doute, l’histoire d’Empédocle, le disciple de Pythagore, qui, dominé par l’amour de la science, voulut descendre dans le cratère de l’Etna, pour étudier les phénomènes des éruptions volcaniques ?
— Après ?
— Eh bien ! j’ai voulu faire comme Empédocle ! j’ai été entraîné par l’amour de la science. J’ai voulu, au péril de ma vie, visiter la ville romaine établie sous le mont Châtellier, pour étudier votre vie intime.
— Vous cherchez à me tromper, répondit le gouverneur. Vous avez été arrêté parce que vous poursuiviez, en lui adressant des déclarations passionnées, une des femmes les plus illustres de mon empire, et parce que vous avez tenté de donner la mort aux soldats chargés de veiller à sa défense.
— Je jure, par tous les dieux !…
— Taisez-vous ! Je vais montrer le cas qu’il faut faire de vos serments… Vous portez encore sur votre poitrine le bouquet de roses sauvages que vous lui avez pris.
On m’arracha le bouquet, qui était à moitié caché dans mes vêtements, et on le fit passer de main en main, au milieu de l’assistance. En apercevant le nom de Métella brodé sur le ruban qui le retenait, une tempête de cris s’éleva dans la salle.
— Au surplus, reprit le gouverneur, il suffit que vous soyez convaincu d’avoir voulu pénétrer dans notre habitation souterraine, et d’avoir cherché à surprendre les secrets de notre existence, pour que vous méritiez le dernier supplice. Je vous condamne à la peine de mort.
Gardes ! s’écria-t-il, conduisez le condamné dans le cachot qui lui est destiné : je ferrai connaître ultérieurement le jour, le lieu et le mode de l’exécution.
On m’entraîna brutalement par des corridors obscurs, et je fus jeté au fond d’une prison qui me parut avoir été creusée dans le roc, comme la prison Mamertine.
Ce qu’il y avait de plus affreux pour moi, c’est que ma condamnation paraissait méritée. Ma présence au milieu de cette ville était désormais impossible. Pour me sauver, il ne me restait plus d’autre espoir que d’implorer la pitié de la femme qui m’avait perdu.
Source image du casque romain : Le Musée Émile Chenon