Une ville souterraine par Charles Carpentier (1887) — Épisode #5
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Chapitre V – Le cachot des condamnés à mort
À l’un des angles du palais de Calpurnius, dans le soubassement d’une tour qui avait été construite au fond d’une cour intérieure, se trouvait le cachot des condamnés à mort. Une petite lampe portative, en terre cuite, pareille à ces milliers de lampes grecques et romaines qu’on voit dans tous les musées antiques, brûlait, dans une niche creusée dans la muraille, près de l’ouverture par laquelle j’étais descendu. Quand mes yeux se furent habitués à l’obscurité, je découvris un misérable grabat en planches, et un escabeau de granit. C’était tout le mobilier de ce cachot. De grosses araignées, aux pattes velues, couraient sur les pierres, pour se soustraire à l’humidité qui suintait des murs, et aucun bruit extérieur ne pénétrait jusqu’à moi. De temps à autre, un des geôliers m’apportait, dans une corbeille, une amphore remplie d’eau fraîche, et du pain fabriqué avec une farine grossière. C’était toute ma nourriture. Mes forces commençaient à s’épuiser. Je me sentais mourir, lorsqu’un bruit presque imperceptible d’abord, et pareil au grincement d’une pierre qu’on descellait dans le sol, attira mon attention.
Ce bruit se reproduisait avec persistance. Après quelques intervalles, il s’entrecoupait par des chocs de plus en plus répétés, et semblait venir du pied de la muraille près de laquelle j’étais couché. Bientôt, en me soulevant sur mon lit, j’aperçus une dalle en forme circulaire, et portant un anneau de fer replié dans une rainure, se soulever, retomber, et se relever encore, comme si quelque animal monstrueux, caché dans la terre, faisait un effort pour sortir d’une caverne dans laquelle il aurait été enfermé. Après des oscillations répétées, cette dalle fut renversée, et vint s’arrêter, en roulant, contre l’escabeau qui se trouvait près de mon lit. Une tête humaine, coiffée d’un bonnet aplati sur le crâne, émergea par cette ouverture et, pivotant à fleur de sol, tourna ses regards autour de ma prison, comme pour chercher à me découvrir. Aucune expression ne pourrait rendre le sentiment de stupeur que j’éprouvai, en voyant cette hideuse apparition qui me semblait être une messagère de la mort. Je me serrai instinctivement contre la muraille, en suivant les mouvements de ces yeux qui sortaient de leurs orbites, comme s’ils allaient s’élancer sur moi. Après un instant d’émotion poignante, j’entendis une voix sourde et étranglée qui me disait :
— Condamné, êtes-vous déjà mort ?
— Pas encore, répondis-je, mais je sens que le moment approche. Qui êtes-vous, et que me voulez-vous ?
— Je suis un esclave du palais. Je viens vous consoler et peut-être vous sauver. Je me suis souvenu qu’il y avait sous ce cachot un égout se déversant dans un abîme, et, dans la voûte de cet égout, une dalle mobile. C’est à l’aide de celle-ci que les geôliers jetaient les immondices et les cadavres des prisonniers qui périssaient dans cet horrible tombeau. Je suis arrivé jusqu’à vous, en me traînant sur les mains et sur les genoux, et je suis parvenu à soulever cette dalle pour vous annoncer une grave nouvelle.
— Dites !
— C’est que la femme que vous avez poursuivie sur le Châtellier s’est émue de vos malheurs ; elle est allée trouver Calpurnius pour le prier de vous faire grâce de la vie.
— Et qu’a-t-il répondu ?
— Il a d’abord répondu que l’opinion publique était fort surexcitée contre vous, et que tout son entourage blâmerait cette mesure. Mais elle lui a représenté que, parlant correctement la langue latine, et ne pouvant ignorer aucun des secrets de la civilisation supérieure, au sein de laquelle vous aviez vécu, vous pourriez apporter ici des inventions et des découvertes utiles, et rendre des services à la population. Le gouverneur, qui a l’esprit ouvert et qui ne craint pas les innovations, a paru touché de ces raisonnements. Il hésite ! Je suis persuadé qu’une nouvelle démarche de cette femme, pour laquelle il a quelque déférence, dissiperait ses derniers scrupules et qu’il vous ferait grâce, si elle insistait.
— Quelle est donc cette femme ? lui demandai-je.
— C’est la filleule d’une magicienne qui a fondé cette ville, et qui pourvoit à son entretien et à son existence par des moyens surnaturels. Quelques-uns même disent que ce n’est pas seulement sa filleule, mais sa propre fille.
— Est-elle jeune ? est-elle ambitieuse ? est-elle amoureuse ?
— Elle est dans tout l’éclat de la force et de la beauté. Amoureuse ? Je ne saurais le dire. Toutes les femmes qui lui ressemblent ne boudent pas, ordinairement, avec l’amour. Mais ambitieuse ? ce n’est un mystère pour personne ! Elle a l’ambition de conquérir l’admiration de tous ceux qui la connaissent par sa hardiesse et par son génie, et de doter cette ville souterraine de tous les bienfaits du monde qui vit au-dessus de nous. Elle a l’âme pleine de patriotisme, et ne cherche qu’à favoriser le progrès.
— Pouvez-vous, lui dis-je, lui faire parvenir secrètement un billet que je vais vous remettre ?
— Je vous le promets, répondit l’esclave.
Je pris mon carnet, et, sur une feuille de papier que je déchirai, j’écrivis au crayon, et en langue latine, bien entendu, les quelques lignes que voici :
« À Métella, salut…
« Si je dois mourir, je vous demande en grâce de mourir en vous regardant, parce que votre vue serait pour moi une consolation, une force et un encouragement. Je sais que vous aimez le peuple, et j’aime le peuple comme vous, parce qu’il est ignorant, parce qu’il est pauvre, parce qu’il souffre. Je mourrais avec joie, en songeant que vous voulez l’éclairer, l’élever en dignité et en bien-être, et que, de tous les malheureux déshérités, vous voulez faire des êtres aimants, bons et intelligents. Mais, si vous êtes assez puissante et assez généreuse pour me faire conserver la vie, je vous prie de m’occuper, près de vous, à des travaux qui puissent servir à la prospérité de votre patrie, et à l’accroissement de votre propre gloire.
« CLODIUS »
Je remis ce billet entre les dents de l’esclave, qui ne pouvait pas le prendre avec ses mains. Sa tête s’enfonça dans le sol, et il disparut, en emportant ainsi ma dernière espérance.
Mon attente ne fut pas longue. La porte de ma prison s’ouvrit…
J’étais sauvé !
Source image du casque romain : Le Musée Émile Chenon