Fantaisie montilienne — Montélimar en l’an 2000 (1921)
Categories À la une, Les textes courts d’ArchéoSFIl sera difficile d’identifier l’auteur d’un texte d’anticipation paru sous le titre « Montélimar en l’an 2000 » dans Le Journal de Montélimar et de la Drôme le 1er janvier 1921. Il s’inscrit dans la tradition des Futurs de province décrits dans la presse régionale.
Fantaisie montilienne
Montélimar en l’an 2000
– C’est singulier, me dis-je, je ne reconnais plus Montélimar !
Je me trouvais dans un état bizarre dont je ne parvenais pas à discerner la nature. Ce qui était certain, c’est que je ne reconnais pas Montélimar.
Cependant, en cherchant bien, je finis par distinguer un objet qui ne m’était pas inconnu : c’était la fontaine de la Place d’Armes. J’aperçus les têtes des quatre saisons avec cet aspect rangé et le visage piqué des vers qui caractérise leur faciès. Mais, chose étrange, un élégant écriteau, fixé à proximité, offrait ces mots : « Spécimen des affections cutanées et des maladies de la peau qui régnaient à Montélimar vers 1920 ».
À cette lecture, une lumière subite se fit dans mon esprit et j’appris par une intuition mystérieuse que j’avais voyagé à travers le temps et que je me trouvais à Montélimar en l’an 2000.
Aussitôt, je vis autour de moi, dans sa grouillante activité, la cité montilienne de l’an 2000. D’énormes usines encerclaient l’horizon, car à cette époque on avait fait quelque chose pour le développement de Montélimar et on y avait favorisé par mille moyens le développement de l’industrie.
À cette minute, un bruit singulier me fit tourner la tête : un gigantesque aéronef venait d’atterrir. Je suivis une foule de Montiliens qui s’embarquait dans ce véhicule aérien et en un clin d’œil nous nageâmes en plein azur. Des quantités d’aéronefs tournoyaient autour de nous. La ligne que nous suivions décrivit plusieurs fois le tour de la cité. À son point terminus, l’aéronef alla se poser sur une terrasse. Cette terrasse couronnait un immense édifice qui n’était autre que l’hôtel de ville de Montélimar. Quoique nous fussions en l’an 2000, je distinguais sur la terrasse le sympathique M. Bouillanne, le chef accommodé d’une casquette toute galonnée d’or. Car, à cette époque, en raison du développement de la navigation aérienne, les concierges ne sont plus au rez de chaussée : ils sont sur les toits.
Guidé par M. Bouillanne, je pénétrais dans l’intérieur de l’édifice municipal et j’en admirais les splendeurs. Le bureau du secrétaire général qui, en 1920, n’avait pas plus de 25 centimètres de côté, était maintenant une vaste pièce soutenue par des colonnades. Quant à la bibliothèque, c’était une telle enfilade de majestueuses galeries, qu’une file de petits wagonnets à crémaillère circulaient sans cesse d’un bout à l’autre pour le transport des volumes.
Je sortis de l’édifice communal par un luxueux pavillon dans lequel s’élevaient les statues des Montiliens célèbres : on y voyait notamment M. Émile Loubet1, M. Ferdinand Ravisa2, et autres illustrations de notre histoire locale.
Un Montilien de l’an 2000 se fit obligeamment mon concierge.
– Vers 1920, me dit-il,on se plaignait de la boue. Vous pouvez constater que nous ignorons ce fléau. Nous avons en effet des rues couvertes, c’est-à-dire bordées des deux côtés par de spacieux péristyles où l’on circule à pied sec par tous les temps. Au surplus, dès que le sol est humide, des machines nouvelles, comportant un système d’assèchement électrique, circulent, sans perdre une seconde, à travers les rues.
Il y a plus : tout le gros charrois, les transports encombrants et volumineux, sont détournés dans des voies souterraines. Vous n’avez, à la surface du sol, que la circulation facile et normale. La rue se divise en 2 pistes : une pour les piétons et une autre pour les autos et autres systèmes de traction.
Tandis que mon homme parlait, je pus constater que la lumière était dispensée de la manière la plus prodigue aux Montiliens de cette époque heureuse : d’énormes lampadaires s’élevaient de toute part : je m’enquis si la lumière ou la force motrice ne subissaient jamais de pannes.
– Jamais, me répondit mon compagnon, c’est même ce qui nous distingue des Montiliens de l’an 1920, ère lointaine et, pour ainsi dire, barbare.
Mais un spectacle plus merveilleux encore m’était réservé.
Pendant des siècles, l’humanité avait laissé se perdre l’immense rayonnement de la chaleur solaire. Les flots de caloriques issus de l’astre central s’éparpillaient dans les espaces avec une fastueuse inutilité. Seule une petite fraction parvenait sur notre planète et y produisait des effets utiles. En l’an 2000, on est parvenu à capter cette immense source de force et de mouvement. Une vaste usine située au centre de Montélimar reçoit et transforme cette énergie nouvelle. De là, elle se répand dans de multiples canalisations qui la transportent dans les domiciles privés où, sous forme de chaleur, elle sert à tous les usages domestiques.
Je me risquais à poser une question :
– Avez-vous de l’eau ?
Le Montilien de l’an 2000 me regarda d’un air totalement ahuri.
– Mais, c’est la chose la plus élémentaire !
– Pour vous, peut-être. Mais de mon temps ! Tantôt, quand vous tourniez votre robinet, vous n’obteniez que des borborygmes qui témoignaient éloquemment de la vacuité des tuyaux. En hiver, les canalisations gelaient ; elles éclataient au dégel et l’on pataugeait dans des marécages domestiques ; c’était trop. Mais en été elle disparaissait complètement sous prétexte de chaleur et de sécheresse, c’était trop peu…
– Vous me submergez d’étonnement, répondit le citoyen de l’an 2000. Aujourd’hui, nous avons toujours de l ‘eau et tant que nous en voulons, et nous ne croyons pas pour autant, avoir… d’ailleurs… réalisé un miracle.
À ce moment, je reçus une violente commotion et, brusquement, je me retrouvais dans mon lit… J’avais en dormant, fait un rêve et une fois de plus, je me répétais le vers mélancolique du poète :
… Que tout ce que je vois est moins beau que mon rêve !
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Et le nougat ???
Apparemment complètement disparu en l’an 2000… Triste époque…