Il n’est question actuellement que de l’invention d’un ingénieur anglais, M. Grindell Matthews : le rayon thermique qui tue à distance et qui arrête le mouvement des moteurs, dans une zone de rayonnement encore restreinte mais susceptible de devenir considérable.
M. Grindell Matthews affirme avoir découvert — ce sont ses propres paroles — un rayon électrique capable de détruire dans un espace donné toute trace de vie. « Je puis, ajoute-t-il, mettre le feu à tous les explosifs connus, et, avec la quantité de puissance nécessaire fondre le fer et les métaux. »
Un de nos confrères a assisté à une expérience de M. Matthews. Il a vu le fameux rayon tuer net, à distance, une souris. Puis le même rayon arrêter un moteur qui tournait dans un coin du vaste laboratoire de l’ingénieur anglais.
Certains savants demeurent encore sceptiques.
Cependant M. Grindell Matthews ajoute :
— C’est un rayon lumineux le long duquel circule un courant électrique d’intensité constante et maniable à volonté. Je pourrais balayer des corps d’armée, etc.
Quoi qu’il en soit, on peut se rendre compte par ceci que les chercheurs ne chôment pas. Il ne se passe pas de jour que quelqu’un n’apporte un nouveau perfectionnement : On tue son semblable avec une facilité toujours plus grande.
Le désir des inventeurs de ces procédés est de rendre la guerre impossible en la faisant plus effroyable, toujours. Mais, écrivait notre bon maître Anatole France, « agir ainsi avec les hommes, c’est mettre une boîte d’allumettes entre les mains d’un enfant, pour lui apprendre à ne pas se brûler. »
À peine M. Grindell Matthews a-t-il fait part à quelques favoris de son étonnante découverte, que tout aussitôt la Presse s’en empare et que les inventeurs réclament.
Tandis que les uns déclarent que cette invention est impossible et qu’« un rayon lumineux le long duquel circule un courant électrique d’intensité constante et maniable à volonté » n’a pas le sens commun, d’autres prétendent que cette découverte leur est due. Il y a belle lurette, affirment-ils, qu’ils ont trouvé le moyen de pulvériser à distance les ennemis, au moyen de lumière électrique, de rayons chauds projetés au loin.
Tandis que MM. Parolini, Valoriz, Peyvel, Garbarini, Mauclaire, Gautier, Caldine, etc., prétendent chacun avoir réalisé, fort avant lui, les essais de M. Matthews, on peut se demander avec quelque inquiétude ce que sera la prochaine guerre, dont on parle avec tant de sérénité, un peu partout.
Il faut aussi constater que l’imagination des romanciers dépasse, de bien des années, les travaux des inventeurs. S’il était loisible à quelque érudit de faire des recherches à ce sujet, il découvrirait que presque toutes les inventions, jusqu’aux plus célèbres et depuis les plus minces, se trouvent en substance dans l’œuvre des littérateurs.
Et ne me dites pas qu’il y a fort loin de l’imagination littéraire d’un Villiers de l’Isle Adam, fabriquant l’Éve future, la femme artificielle, héroïne mécanique et pourtant humaine d’un roman fameux, à la création d’un chimiste génial qui parviendrait un jour à faire artificiellement des êtres vivants.
Il n’y a pas si loin que cela, quand on y songe. Car l’idée première n’est-elle pas la base essentielle ? Et lorsqu’une idée est lancée parmi les hommes, on sait quel rapide chemin elle peut parcourir.
Edgar Poe, Balzac, Jules Verne, H.-G. Wells, Danrit furent les véritables inventeurs de bien des découvertes contemporaines.
Jules Verne imagina, par exemple, le sous-marin, le ballon dirigeable, Danrit le canon à longue portée.
Et Jean Lecoq me rappelait l’autre jour que dans cette même Éve future dont je parlais tout à l’heure, Villiers prévoyait le cinématographe.
H.-G. Wells, lui, dans sa Guerre des mondes, parle tout simplement d’un rayon électrique puissant, inventé par les Martiens, capable de tout détruire sur son passage.
H.-G. Wells est-il donc le véritable inventeur du rayon qui tue ? Ce fervent pacifiste aurait-il imaginé, un jour, en lançant de par le monde une petite idée, un appareil capable de mettre fin à l’humanité ?
Dans un livre récemment paru, un médecin affirme que la prochaine guerre ne se fera pas à l’aide de canons — ni même de rayons — mais avec des microbes. On s’enverra des épidémies.
La science humaine, arrivée à un carrefour ayant soulevé un coin du voile, la Nature se révoltera-t-elle ? On est, hélas ! tenté de le conclure.
Elle mettrait entre les mains des hommes assez de science pour qu’ils se détruisent eux-mêmes, jusqu’au dernier.
Ainsi se terminerait l’histoire de la boîte d’allumettes et du petit enfant.
Jacques Chabannes, Le Petit Journal illustré du 27 avril 1924 et illustration : Le petit inventeur du 16 septembre 1924