Que nous réserve la révolution de demain ? — Émile Pouget, 1909 (Partie 3)

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M. Emile POUGET, ex-secrétaire adjoint de la C. G. T. et rédacteur de la « Voix du Peuple », continue avec une sérénité imperturbable son idyllique rêve de chambardement. Dans son premier article il a eu la bonne grâce de nous montrer avec quelle facilité, comme un fruit trop mûr, tombera la Société « Bourgeoise ». Et ses prophéties ne furent pas sans amuser nos lecteurs. Aujourd’hui il nous montre — toujours d’après sa propre imagination — comment le nouvel état social, improvisé dans les villes, gagnera peu à peu les campagnes et s’y développera. [Introduction de l’éditeur]

LA DEUXIÈME ÉTAPE

En marche vers l’harmonie sociale

Dans notre première étude, en esquissant les péripéties de la lutte entre le Syndicalisme et le Parlementarisme finalement effondré, c’est surtout l’action du Paris révolutionnaire que nous avons évoqué. Son effort frappa l’État dans ses œuvres vives.

Cependant, si l’ébranlement se fût circonscrit à la capitale et à quelques grandes villes, la bourgeoisie eut pu se ressaisir et tenter un retour offensif. Mais la province vibrait à l’unisson de Paris. Le peuple des grandes villes, des centres industriels, des régions minières et métallurgistes se soulevait.

Les paysans entraient en branle, eux aussi, et leur intervention faisait la révolution irrévocable, entraînant son définitif triomphe.

Le peuple des campagnes pâtissait du malaise général. Il se plaignait de la mévente, des impôts, des hypothèques.

De plus, il s’était imprégné d’aspirations sociales, sous l’influence des syndicats agricoles et des coopératives terriennes qui s’étaient fort développés.

La secousse révolutionnaire se répercuta donc dans les campagnes.

Les nouveaux Jacques avaient l’appétit de la terre, car la terre, c’est la vie assurée, la liberté conquise ! Ils ont tout fait pour la prendre : dans les plaines du Nord, de la Brie, de la Beauce, et dans les parages où la grande culture ne laisse pas un lopin.

Enfin, la révolte déferla et l’on s’empara des grands domaines. Dans les forêts du Centre, les bûcherons, vétérans de l’organisation syndicale et depuis longtemps familiarisés avec le travail en commun, firent la chasse aux marchands de bois, occupèrent les terres, les forêts. Dans le Midi, les bûcherons marchèrent, non plus cette fois à l’appel des propriétaires, mais pour leur courir sus. Cette jacquerie fut accélérée par une de ces paniques dont on retrouve des exemples dans l’histoire, de village en hameau le bruit se propagea que des « sauvages » venaient saccager les récoltes, se partager les terres. Ce fut la réédition de la grande peur de 1789.

À quelles causes attribuer des faits de cet ordre ? Doit-on jeter la responsabilité sur les réacteurs qui, escomptant le pire, crurent que ces faux bruits pouvaient exaspérer les paysans contre les révolutionnaires?… Est-ce, au contraire des révolutionnaires qui, par calcul machiavélique usèrent de cet expédient pour secouer l’apathie paysanne ?

Toujours est-il que, comme en 1789, les paysans s’émurent et armèrent. Leur apathie fut secouée et ils subirent la contagion de l’exemple : l’appétit de la terre les gagnait. En peu de temps, la prise de possession de la terre se généralisa. Les syndicats, là où il en existait déjà, menèrent la lutte. Ailleurs, des groupements de cet ordre s’organisèrent spontanément.

Que pouvaient les autorités locales contre ce flot débordant ? Le maire, les quelques fonctionnaires de l’État et les rares privilégiés que compte la commune furent hésitants. D’ailleurs, la plupart manquaient d’esprit et, autant ils eussent aimé être défendus, autant ils étaient peu disposés à se défendre eux-mêmes. Or, nulle part la compression n’existait plus. Les quelques gendarmes du canton, dont l’ardeur mercenaire avait sombré, regardaient la révolte sans défaveur. Quant à l’armée, elle était complètement dispersée. Nombre de soldats étaient revenus au village heureux de leur libération anticipée ; certains, qui avaient emporté fusils et munitions, se distinguèrent par leur ferveur révolutionnaire.

Certes, souvent les révoltés n’étaient dans le village qu’une poignée d’audacieux ; mais ils étaient sûrs de la tacite adhésion de la majorité et si peu nombreux qu’ils étaient, moins nombreux encore étaient les privilégiés. Eux, isolés et éparpillés, se trouvaient noyés dans un monde hostile. Quelques-uns, pourtant, se refusant à accepter les changements et se refusant aussi à émigrer, s’essayèrent à la résistance. Ils étaient fiers de leur éducation sportive, ils étaient râblés et musclés. Seulement, ils vivaient trop dans le souvenir du passé et ne pouvaient admettre que le désastre fût davantage le résultat de la passivité que de leur propre faiblesse. Le jour où ils constatèrent que leur domesticité se refusait à combattre pour eux, quand ils sévirent boycottés, traités en pestiférés, ils durent reconnaître combien pesait peu leur force physique, et celle de leurs privilèges.

Les révolutionnaires n’avaient d’ailleurs pas l’âme sanguinaire. Ils s’attaquaient moins aux individus qu’aux richesses, sachant que, privés du moyen de corruption que donnaient celles-ci, les capitalistes les plus redoutés seraient incapables de nuire. Il y eut cependant des exécutions brutales et des vengeances s’exercèrent. Mais ces drames furent des incidents et non un système.

De fait, de prime abord, la révolution n’avait pas l’aspect terroriste ; elle pourrait l’acquérir si survenait une poussée de réaction… mais, pour l’instant, elle s’annonçait humaine et conciliante. Aussi advint-il que des riches d’hier, acceptant, philosophiquement l’inévitable, s’essayèrent à l’adaptation. Sacrifiant leur luxe, ils se soumirent à la vie simple qu’allait être, pour eux, l’existence dans le milieu nouveau. Pour calmer leurs regrets, ils argumentèrent : « Supposons que j’ai fait faillite. Je suis ruiné. Il me faut travailler pour vivre… C’est ce qui m’arrive ! Seulement, je suis ruiné en compagnie… » Et, comme l’être humain a une plasticité considérable, comme il s’adapte vite aux climats et aux milieux les plus divers, ces « ci-devant », plastronnés d’optimisme, se modelèrent â la vie nouvelle, vivant des heures douces, découvrant des satisfactions et des joies dont ils avaient ignoré la saveur, au cours de la vie artificielle qui était la leur dans l’ancien régime.

Tous les privilégiés n’étaient cependant pas d’humeur à accepter les événements avec telle quiétude.

Il y en eut qui, dès l’accentuation de la crise, songèrent à s’éloigner. Le souvenir des guillotinades de 1793 les hantait et les évocations de la terreur robespierriste les troublait. Les uns étaient des frivoles, aimant leurs aises et redoutant les émotions ; d’autres avaient de plus sérieuses raisons pour aller respirer un autre air : leur nom avait une notoriété tellement fâcheuse qu’il paraissait condenser les haines populaires. D’ailleurs, pour les uns et les autres, l’émigration était un minime incident. L’habitude des grandes randonnées en automobile, des excursions aux rives du Nil ou aux fiords de Norvège, les avait imprégnés de cosmopolitisme. Sachant qu’ils pourraient trouver leurs aises n’importe où, l’expatriation leur était douce. Et puis, ils avaient les mêmes illusions que les émigrés de 1790 : ils comptaient revenir tôt et ne voyaient dans les troubles du moment que l’occasion d’un voyage agréable.

Au surplus, rien de simple comme d’émigrer. En quelques heures d’auto, la frontière était gagnée. Le seul risque était la traversée des villages où grondait la révolte. Encore, était-ce moins en leur qualité d’émigrants, qu’en celle d’automobilistes que les fuyards avaient à craindre. En effet, dans les campagnes, l’auto était en mésestime, — elle était l’écraseuse de poules et aussi de gens… Et comme les colères étaient déchaînées, il y avait à redouter qu’elles déferlent contre elle. Cependant, rares furent les représailles redoutées. Plus rares, celles qui se terminèrent tragiquement.

L’émigration n’était pas entravée par les révolutionnaires. Elle était même souhaitée par certains qui y voyaient un expédient pour mener à bien, sans encombre, l’expropriation capitaliste. Comme la révolution se faisait plus contre les institutions que contre les individus, l’exode des privilégiés allait éviter des tiraillements et des démêlés avec eux. Les émigrés pouvaient emporter leur or, — mais non leurs terres, usines, immeubles. Leur départ allait donc faciliter l’occupation de leurs domaines par les paysans, la mise en œuvre des usines et l’aménagement nouveau des immeubles qu’ils abandonnaient.

Mais les privilégiés n’émigrèrent pas tous. Il en fut qui se refusèrent à laisser le champ libre à la révolution et qui, une fois le gouvernement jeté bas, s’efforcèrent de se défendre eux-mêmes.

La bourgeoisie, pour donner corps à cette tentative d’opposition, avait des centres de ralliement nombreux : d’abord, les chambres de commerce et les syndicats patronaux ; puis les comités centraux qui, dans bien des industries, contrôlaient la production, — comptoirs de maîtres de forges comités des houillères, du textile, etc. ; puis, aussi, les groupements d’assurance contre les grèves, ainsi que maintes associations diverses.

C’est pourquoi, les « ci-devant » qui voulaient se défendre pouvaient se supposer aptes à la résistance. Ils se berçaient d’illusions. Leur horizon social ne s’était pas élargi et ils se voyaient toujours dans le milieu ancien, négligeant de tenir compte de la transformation en passe de s’accomplir.

 

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La suite au prochain épisode…

 

Roxane Lecomte
Plus connue sur la toile sous le nom de La Dame au Chapal, arrivée chez Publie.net fin 2011, graphiste, est responsable de la fabrication papier et numérique, est passionnée de littérature populaire et d'albums jeunesse. N'a pas peur de passer des nuits blanches à retranscrire des textes sortis des archives du siècle dernier.

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