Que nous réserve la révolution de demain ? — Émile Pouget, 1909 (Partie 6)

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La profonde secousse sociale qui transformait si complètement la physionomie de la France avait eu sa répercussion dans l’Europe entière. Les peuples, incités par l’exemple de la classe ouvrière française, aspiraient à marcher sur ses traces. Mais, leur foi en la grève générale étant moins ardente, ils hésitaient à se lancer dans l’aventure.

Les gouvernements, redoutant de ne pouvoir comprimer indéfiniment la poussée émancipatrice, en baissaient d’autant plus la révolution. Entre eux et le régime nouveau qui s’instaurait en France, les relations diplomatiques avaient été rompues dès la première heure. C’était normal. Il ne pouvait guère y avoir contacts et rapports entre les organismes économiques, issus de la révolution, — et qui étaient la négation de tout gouvernement, — et les excroissances politiques qu’étaient les États, aussi bien monarchiques que démocratiques.

Il y avait bien, en France, au sommet du réseau syndical, le Comité confédéral, formé par les délégués des organisations fédératives. Seulement, l’eût-on voulu, qu’il n’y avait pas d’équivoque possible : ce comité ne pouvait faire figure de gouvernement. Ce fut cependant devant lui que s’évoqua la question des relations diplomatiques avec les gouvernements étrangers. Les maintiendrait-on ? Il fut conclu par la négative. Par contre, il fut convenu de raffermir et de développer les relations, antérieurement existantes, entre les fédérations et les confédérations ouvrières de tous pays.

Cette solidarité internationale entre les peuples était un besoin d’autant plus pressant que les gouvernements songeaient à intervenir dans les affaires intérieures de la France. Le prétexte était commode à trouver. N’avaient-ils pas le devoir de sauvegarder les intérêts de leurs nationaux ? D’abord, de ceux établis en France, et dont les industries et les commerces étaient ruinés, et aussi de ceux, porteurs de titres français (rentes sur l’État, actions de chemins de fer, de mines, etc.) que la faillite financière lésait ?

Les gouvernements s’émouvaient donc par solidarité capitaliste, — tout comme en 1792 leurs prédécesseurs s’étaient émus par solidarité dynastique. Et — tout comme en 1792, — la révolution leur portait ombrage et ils rêvaient de la noyer dans le sang, pour en finir avec son action prosélytique.

Aux premières rumeurs de ces menaces d’intervention étrangère, le Comité confédéral — qui n’avait aucune qualité pour prendre une décision utile, — en appelait au peuple lui-même, par le canal de ses organismes corporatifs : il convoquait un congrès général de tous les syndicats. Cette consultation populaire se fit rapidement. En quelques jours, les délégués étaient choisis et ils se réunissaient à Paris. Jamais assemblée de ce genre n’avait été aussi nombreuse. Il y avait là des délégués de toutes les branches de l’activité humaine. Toutes les professions étaient représentées, — toutes étant désormais groupées en syndicats et fédérations —et toutes ayant qualité pour discuter et décider des intérêts généraux : les ouvriers des villes et les paysans y coudoyaient des chimistes, des médecins, des professeurs, des ingénieurs, etc.

Tous abhorraient la guerre avec une intense passion. Ils en avaient la haine, — et aussi l’épouvante. Ils la redoutaient, non seulement pour les maux effroyables qui lui font cortège, mais encore pour ses pernicieuses conséquences. Ils voyaient en elle un torrent de barbarie qui risquait de ravager la belle harmonie naissante.

Et pourtant, on ne pouvait laisser écraser la révolution ! il fallait la défendre ! Mais, comment ?

Après d’angoissantes discussions, le Congrès rejeta le projet de défense militarisée, qui eût impliqué un retour vers l’ancien régime. Il considéra que ce serait acheter trop cher la victoire, s’il fallait la devoir à une armée régulière, reconstituée pour la circonstance. Il ne voulut pas, pour se garder d’un danger extérieur, se créer un redoutable péril intérieur.

Il fut donc décidé de ne pas recourir au système ancien, qui consistait à opposer des masses armées à d’autres masses armées et à les précipiter les unes contre les autres. On convint de faire front aux attaques extérieures par une guerre en ordre dispersé — qui ne serait pas une vulgaire guerre de guérillas, mais une lutte inexorable et sans pitié. Il s’agissait de mettre à profit, pour la défense, les dernières découvertes scientifiques, — en faisant sans scrupules litière du prétendu droit des gens.

On partit de ce principe que plus terribles pourraient être les expédients auxquels on aurait recours, plus efficaces ils seraient.

Des commissions spéciales, composées d’hommes aussi compétents qu’énergiques, se mirent à la besogne.

Entre autres moyens de défense, l’emploi des ondes hertziennes fut préconisé. Grâce à elles, on rendit pratique, à distance, la déflagration de matières explosives. Par ce procédé on pouvait espérer réduire à l’impuissance les armées envahisseuses, en faisant exploser, au milieu des camps, leurs parcs à munitions. De même, toujours par les ondes hertziennes, on obtint une protection complète des côtes et des ports : on pourrait, grâce à elles, — sans recourir aux torpilles ou mines sous-marines, — couler les vaisseaux de guerre qui s’approcheraient, en provoquant l’explosion de leurs soutes à poudre.

Il fut convenu aussi d’équiper des flottilles d’aéronefs qui bombarderaient les campements des envahisseurs, en laissant tomber au milieu d’eux des bombes à gaz asphyxiants ou emplies d’explosifs puissants.

D’autres moyens furent encore envisagés. Le plus simple consistait à faire le vide absolu autour des armées qui pénétreraient sur le territoire et à les isoler radicalement. Quant au plus terrifiant des moyens préconisés, il fut décidé de n’y recourir qu’à la dernière extrémité : il s’agissait d’infecter les armées, d’invasion… de leur donner la peste, le choléra !… Et ce, en les contaminant grâce à des préparations redoutables, saturées des bacilles pathogènes de ces virulentes maladies épidémiques… et avec d’autant moins de dangers pour soi qu’on disposait des sérums préservatifs et guérisseurs.

Ces procédés de défense qui, pour effroyables qu’ils fussent, avaient l’excuse de la nécessité, il fut arrêté de ne pas les tenir secrets. En les rendant publics, les gouvernements étaient avisés de la réception qu’on préparait aux envahisseurs. Il y avait encore, à cette publicité, un autre avantage : celui de faire connaître aux masses populaires qui consentiraient à coopérer au crime d’invasion à quels risques elles s’exposaient.

Le souci de résister, au dedans, à tous les assauts des réacteurs, de même que celui de faire face aux dangers pouvant venir de l’extérieur, n’avait pas déprimé les individus, au point de leur faire ignorer ou dédaigner toutes préoccupations d’ordre intellectuel.

Malgré l’âpreté des luttes et malgré les obstacles, la révolution s’affirmait attrayante, nullement rébarbative.

Le sectateur de Mahomet, le farouche calife, Omar, n’eut pas d’imitateurs. On ne brûla pas de bibliothèques… Tout au plus rasa-t-on quelques églises.

Et ceux qui voulaient qu’on abattît sans pitié tous les édifices culturels étaient loin d’être des hommes d’esprit barbare. Au contraire, ils étaient des plus cultivés. En eux, nulle haine du monument, — rien que la haine de la superstition dont il était le symbole. Ils proclamaient que la critique ne tue pas les religions ; qu’on peut en vain, de générations en générations, démontrer leur absurdité… et qu’elles continuent à avoir des fidèles tant que reste debout le centre d’attraction magnétique qu’est l’église. Et ils ajoutaient que les premiers chrétiens savaient cela : à preuve qu’en véritables révolutionnaires, dès leur triomphe, ils avaient eu soin de jeter bas les temples du paganisme, — alors qu’il leur eût été si simple de les purifier et de les utiliser. Les chrétiens comprirent qu’à foi nouvelle, il fallait des monuments nouveaux, — et ce fut leur force !

Et ceux-là encore, blâmaient les révolutionnaires de 1794 qui, pour déchristianiser la France, se bornèrent à abattre les bonshommes de pierre aux portails des églises, et à transformer celles-ci en granges ou salles de réunion. Aussi, à ce manque d’audace attribuaient-ils la facilité avec laquelle fut réalisée, par Napoléon Ier, la restauration chrétienne. Et ils concluaient qu’il ne fallait pas retomber dans pareille faute…

Contre cette thèse s’indignaient les amoureux des belles pierres ; ils plaidaient le respect des cathédrales où s’était incrustée l’âme de nos pères, — qui ne fut pas toujours très catholique.

Entre ces deux argumentations contradictoires, après de vives discussions, l’accord se faisait souvent par un compromis : on convenait de respecter les monuments qui symbolisaient une époque, disaient son art, et d’être sans pitié pour les bâtisses affreuses édifiées par des architectes qui avaient manqué d’art autant que de foi.

Ainsi, dans bien des centres se préparait la déchristianisation. Mais, en ces circonstances, comme en toutes autres, se manifestait l’esprit de la révolution : elle prétendait modifier l’homme par la transformation du milieu. Et c’est pourquoi, tout en exécrant les superstitions, et tout en abattant des églises, les révolutionnaires respectaient la foi de chacun.

Ce respect des croyances suscita, au sein du catholicisme, une modification dont les premiers symptômes s’étaient déjà révélés en régime capitaliste, au lendemain de la séparation des églises et de l’État. Un certain nombre de prêtres, — principalement, dans les campagnes, — s’étaient ingéniés à récupérer leur traitement en s’adonnant au travail. Ils avaient ainsi, —peu ou prou, — cessé d’être des parasites, tout en restant des prêtres. Ils étaient donc préparés à la vie de la société nouvelle, d’où les êtres parasitaires étaient éliminés. Aussi, tandis que les évêques et les prêtres des grands centres, habitués à la vie artificielle qui avait été la leur jusque-là, se trouvaient désemparés, les curés de village, à demi travailleurs, s’adaptaient sans encombre, — et ils continuaient, entre temps, à remplir leurs fonctions cultuelles. Et ce, sans que nul y mît entraves. Allait au prêche qui voulait.

Au surplus, l’indifférence religieuse allait s’accentuant.

Au contraire, croissaient les préoccupations d’ordre intellectuel. Le bien-être avait surexcité dans le peuple l’appétit de savoir, les goûts d’art sous toutes formes.

Déjà, aux premiers jours de la révolution, le respect de l’art s’était manifesté par le soin avec lequel les collections précieuses qui meublaient les demeures des « ci-devant » avaient été transportées aux musées et aux bibliothèques. Précédemment, des opérations de cet ordre s’étaient tant et tant répétées que l’accoutumance acquise. L’exemple venait de loin : n’étaient-ce pas les généraux de la première république, ceux de l’empire et, aussi, les expropriateurs du clergé et des congrégations, ceux qui séparèrent l’Église de l’État, etc., qui, tour à tour, enrichirent les musées ? D’ailleurs, les scrupules eussent été d’autant moins de mise que, cette fois, c’était la propriété capitaliste qu’on ramenait a la source commune.

En la plupart des cas, les palais somptueux des millionnaires avaient été transformés en maisons de repos ou de vieillesse, sans pourtant les démeubler, il était naturel qu’on réservât pour les musées, les œuvres d’art qui les ornaient. Ici, elles seraient rendues à leur destination, — car elles n’avaient pas été conçues pour être encagées, mais bien pour faire la joie des yeux, évoquer des émotions, être admirées. Aussi, ce fut avec des précautions minutieuses, indices des sentiments d’art, qu’il fut procédé à ces aménagements. D’autre part, les écoles s’étaient transformées, réorganisées : l’autonomie les vivifiait, — comme elle fécondait les multiples brandies du rameau social, — et elles étaient plus fréquentées que jamais.

Autour des chaires des professeurs s’empressait la génération nouvelle, heureuse, de vivre, avide de savoir. Celle-ci n’avait pas les titres qui glaçaient autrefois les jeunes hommes à leur vingtième année : la sécheresse de Cœur, les âpres envies de parvenir, de jouer des coudes au détriment des camarades. Les fleurs mauvaises de la vieille société ne germaient plus en elle, parce qu’elle ignorait les appréhensions du lendemain.

Cette génération nouvelle, dégagée des angoisses de l’avenir, n’apercevant nul point noir à son horizon, était toute vibrante et aimante, saine et franche !

En elle s’épanouissait la joie commune. La joie puisée dans la certitude que la révolution ne pouvait plus être enrayée. Et cette certitude purifiait et assainissait l’atmosphère sociale —y détruisait les résidus de haine et ouvrait les voies à une humanité meilleure.

 

FIN

Roxane Lecomte
Plus connue sur la toile sous le nom de La Dame au Chapal, arrivée chez Publie.net fin 2011, graphiste, est responsable de la fabrication papier et numérique, est passionnée de littérature populaire et d'albums jeunesse. N'a pas peur de passer des nuits blanches à retranscrire des textes sortis des archives du siècle dernier.

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