Que nous réserve la révolution de demain ? — Émile Pouget, 1909 (Partie 1)
Categories Les feuilletons d’ArchéoSFÉmile Pouget, « Que nous réserve la révolution de demain ? », in Touche à tout, n°6 à n°8, juin-août 1909
Que nous réserve la révolution de demain par Émile Pouget, de la C.G.T.
Avec une certitude ingénue, d’enthousiastes prophètes nous annoncent l’approche des temps nouveaux. Passant même des paroles aux actes, ils profitent de la moindre occasion favorable pour esquisser leur rêve de chambardement. Chaque fois qu’ils ont réussi à mettre quelque désordre dans la vie sociale et à rendre un peu plus rude l’effort des braves gens, ils déclarent que la Révolution est en marche. Agréable perspective ! Aussi avons-nous cru intéresser les lecteurs de TOUCHE À TOUT en priant l’un des hommes les plus qualifiés du syndicalisme révolutionnaire de leur dire comment le paradis de la Cité future s’ouvrira pour eux. M. Émile POUGET, ex-secrétaire adjoint de la C. G. T. et rédacteur en chef de la « VOIX DU PEUPLE », son organe officiel, veut bien nous réjouir de ses précisions. Voici le premier des articles où il nous fait connaître la manière dont la société bourgeoise sera mangée.
LA PREMIÈRE ÉTAPE
La Grève générale - L’effondrement du Parlementarisme
La question est d’actualité. Un trouble profond, mélangé d’incertitude et d’angoisse, gagne les âmes. Dans les milieux les plus disparates, les récentes commotions économiques ont éveillé le doute sur la stabilité des fondements sociaux.
Une ambiance nouvelle se forme. On a la sensation que la société va vers un inconnu formidable et on se familiarise avec le péril d’une révolution qu’on pressent et qu’on appréhende.
Et ce qui caractérise le moment actuel c’est que la croyance en cette révolution gagne ceux-là mêmes qui la craignent : ceux qui supposent avoir à y perdre, ou qui redoutent d’en être les victimes.
C’est cela qui est symptomatique ! On n’en est plus à se demander si cette révolution est possible… On l’attend, on a la sensation qu’elle est proche.
Cet état d’âme particulier est lui-même un facteur de cette révolution. En effet, une révolution nécessite, pour se réaliser, que l’action des révolutionnaires se développe dans une atmosphère favorable. Aussi longtemps que ceux-ci se heurtent à une masse réfractaire et impénétrable, leurs efforts se traduisent en actes inefficaces. Il faut, pour que la révolution dont cette minorité est le ferment prenne corps que, dans son ensemble, la société admette la possibilité de la transformation ; il faut qu’il émane du milieu social une atmosphère sinon de sympathie, du moins d’attente. Alors, — seulement alors ! — la révolution annoncée a des chances d’aboutir.
Nous en sommes là !
Cette constatation faite, on pourrait rechercher quelles déceptions, quelles désillusions, quels dégoûts ont créé cette atmosphère propice à l’éclosion révolutionnaire. Ne nous y attardons pas. Allons plus loin : tâtons le pouls à cette révolution en germe…
Essayons d’esquisser quels événements peuvent précipiter le cataclysme. Tâchons d’évoquer quel pourra être, dans la tourmente, le sort de chacun, que ce chacun soit riche où pauvre, propriétaire ou paysan, capitaliste ou misérable, petit bourgeois ou artisan. Recherchons comment, pour les uns et pour les autres, se fera la « traversée » de la vieille à la nouvelle société.
Et il n’y a pas que des prévisions individuelles qu’il soit intéressant d’élucider. Que de questions se pressenti cette révolution sera-t-elle un « raz » de barbarie, comme des pessimistes le prévoient ? L’art et la littérature seront-ils mis en péril et Omar, le fanatique disciple de Mahomet, aura-t-il des imitateurs, incendiaires de bibliothèques ? Et la question religieuse sera-t-elle traitée par l’indifférence, le mépris ou la violence ? Et puis, si du domaine moral on passe à l’examen du problème économique, que de points d’interrogation ! Comment sera organisée la production et comment sera-t-il procédé pour l’échange et la répartition des produits ?
À toutes ces questions, il serait présomptueux de prétendre répondre d’une façon catégorique et absolue. Il y a des inconnus qu’on ne peut dégager. Cependant, il est possible d’esquisser, en grandes lignes, quelle sera l’ossature du monde nouveau et, pour si complexe que soit le problème, il peut y être donné des solutions approximatives, évocatrices d’événements probables.
La grande force révolutionnaire, on le sait, est la Confédération générale du travail ; les syndicats, éparpillés sur tous les points de la France, sont reliés à elle par des liens fédératifs qui n’ont rien de rigide et de dictatorial. La puissance de cet organisme, il ne faut donc pas s’y méprendre, n’est pas faite d’autorité, mais de liberté ; les syndicats ne sont pas sous l’étroite dépendance du centre confédéral et ils ne reçoivent pas de lui des ordres auxquels ils doivent se plier.
Son unité d’action est faite de pensées et d’inspirations communes ; elle est la conséquence du profond courant de solidarité qui anime la classe ouvrière et la fait vibrer à l’unisson, comme un organisme vivant, sous des impulsions et non sous des ordres impératifs.
La Confédération est loin d’englober l’ensemble de la classe ouvrière ; elle ne groupe guère que l’élite ; mais, comme ses affiliés sont la partie agissante et pensante du prolétariat, on s’explique qu’elle soit la seule force qui compte.
Au surplus, l’influence de la Confédération ne se limite pas aux groupements qui relèvent directement d’elle. On l’a vu lors de la récente grève des postiers : des trois organisations postales faisant bloc contre le pouvoir, une seule, — celle des ouvriers des lignes, — est affiliée à la C.G.T. Cependant, leur grève était inspirée par la tactique syndicaliste et nul n’a mis en doute que l’esprit de la Confédération animait leur mouvement. C’est cela même qui en a fait la gravité.
L’Angleterre a subi, avant nous, une grève de postiers. Ce fut un événement sans portée, parce qu’il ne dépassait pas l’horizon corporatif, tandis que celui qui nous occupe a été un mouvement d’action directe, de révolte contre l’État, — un prélude à la grève générale révolutionnaire.
C’est pourquoi on peut, en la prenant comme point de départ, dégager l’hypothèse de l’extension du mouvement aux autres corporations et évoquer la crise aiguë qui ébranlera la société actuelle.
Ce n’est là qu’une conjecture. Le mouvement initial pourra être autre. Il pourra être suscité par des incidents d’un autre ordre et partir d’une autre corporation. Mais, ce qu’on doit retenir, c’est que, quelles que soient les circonstances, l’action révolutionnaire jaillira des événements plus que des volontés.
Reprenons notre hypothèse : qu’eût-il fallu pour que la grève des postes fût l’événement initial suscitant l’extension de la grève aux autres corporations et pour que le mouvement prît l’allure révolutionnaire ? Que le pouvoir eût adopté quelques-unes de ces mesures qui, aux heures de tension sociale, exaspèrent l’opinion et sont considérées, par les grévistes et leurs partisans, comme le comble de la violence et de la réaction. Supposons, par exemple, que le ministère, voulant user de la force pour faire rentrer les postiers dans l’ordre, eût lancé l’armée contre eux, qu’il eût tenté de militariser les grévistes et eût essayé de décapiter le mouvement en arrêtant les membres du Comité de grève.
Alors, l’indignation secoue les dernières torpeurs, le sentiment de la solidarité s’exalte, la fièvre révolutionnaire s’accentue. Les corporations qui, dans la complication et l’enchevêtrement de la vie actuelle, remplissent des fonctions essentielles, sont les premières à suspendre le travail. L’emballement est tel qu’en bien des cas la grève se fait sans que les comités syndicaux aient eu à se prononcer ; il suffit que, dans une usine, dans un atelier, quelques ouvriers donnent le signal pour que leur initiative entraîne l’arrêt du travail. Et leur exemple est contagieux. C’est la grève ! clament-ils en dévalant par les rues, en entrant dans les usines qu’ils trouvent sur leur route et où, sans grandes difficultés, ils pratiquent le débauchage.
Les électriciens suppriment la lumière. Les gaziers s’arrêtent à leur tour et, comme il n’y a pas de réserve dans les gazomètres, quelques heures plus tard l’obscurité s’étend complète sur la ville. Le manque de lumière et de force motrice plonge dans la torpeur les usines, les ateliers, les magasins. La grève s’étend, fait tache d’huile. Le métro cesse de fonctionner ; aussi les omnibus, les tramways. La secousse est tellement forte et profonde que l’engouement pour la grève ne se limite pas aux ouvriers, aux employés ; elle gagne la domesticité. En des offices de maisons bourgeoises et aristocratiques, c’est une levée de tabliers et de plumeaux. Plus de cuisiniers ! Plus de valets de chambre ! Et c’est cela, peut-être, qui rend plus sensible aux privilégiés l’acuité de la grève.
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La suite au prochain épisode…
Ceci est un commentaire sur Emile Piget 1
Terrifiant. Plus de valets de chambre !!! Moi qui ait toujours rêvé d’en avoir un.
Mais j’attends les robots. Au moins, ils ne se mettent pas en grève.
Et avec leur pile nucléaire pour les alimenter, basta de la grève des électriphores.
Désolé. Faute d’ortografe:
Moi qui ai…