PREMIER ACTE — LES ÉTRANGLEURS DE HERNIES
(La scène représente le refuge des bandits tragiques.)
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — Depuis que nous assassinons les gens en étranglant leurs hernies, nous pouvons opérer en toute sécurité.
DEUXIÈME BANDIT TRAGIQUE. — Les médecins concluent à la mort accidentelle de nos victimes.
TROISIÈME BANDIT TRAGIQUE. — Notre procédé est de tout repos, mais il nous force à ne choisir notre clientèle que parmi les hernieux.
DEUXIÈME BANDIT TRAGIQUE. — Cela nous oblige à de longues et pénibles enquêtes préparatoires.
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — C’est une grande perte de temps.
DEUXIÈME BANDIT TRAGIQUE. — De plus, cette spécialité diminue notre champ d’action. De belles affaires nous échappent pour la simple raison que tout le monde n’est pas affligé de hernies.
TROISIÈME BANDIT TRAGIQUE. — II faudrait trouver un autre moyen de travailler sans danger.
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — Ce moyen, que je cherche déjà depuis longtemps, je crois l’avoir trouvé !
DEUXIÈME ET TROISIÈME BANDITS TRAGIQUES. — Parle ! premier Bandit tragique.
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — Inutile ! Vous jugerez, dès cette nuit, mon nouveau procédé. Une affaire excellente se présente dans le quartier.
DEUXIÈME ET TROISIÈME BANDITS TRAGIQUES. — Quelle affaire excellente ?
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — Un vieil avare qui possède une magnifique collection de coquetiers.
DEUXIÈME ET TROISIÈME BANDITS TRAGIQUES, avec dédain. — Peuh ! des coquetiers !
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — Oui ! mais ce sont de superbes coquetiers « filets or ».
DEUXIÈME ET TROISIÈME BANDITS TRAGIQUES, enthousiasmés. — « Filets or » ! Merveilleuse affaire !
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — À ce soir donc ! Je vous conduirai chez la victime.
DEUXIÈME ET TROISIÈME BANDITS TRAGIQUES. — À ce soir ! Faut-il apporter un sac pour mettre les coquetiers ?
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — Inutile ! Nous ne nous embarrasserons pas des coquetiers. Nous prendrons seulement les « filets or ». À ce soir !
DEUXIÈME ACTE — INGÉNIOSITÉ MACHIAVÉLIQUE
(La scène représente la chambre du collectionneur de coquetiers.)
TROISIÈME BANDIT TRAGIQUE. — À présent que le vieux collectionneur de coquetiers est étendu sur le plancher, ligoté et bâillonné, nous diras-tu comment tu comptes le faire disparaître sans laisser de traces ?
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — C’est grâce au contenu des deux valises que j’ai apportées avec moi que je vais anéantir toutes les preuves de notre crime.
DEUXIÈME ET TROISIÈME BANDITS TRAGIQUES. — Comment cela ?
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — C’est bien simple ! J’ouvre ma première valise. J’en retire une à une les 468 sangsues qui s’y trouvent enfermées, et je les pose délicatement sur le corps de notre malheureuse victime. Voilà qui est fait. Attendons !
DEUXIÈME ET TROISIÈME BANDITS TRAGIQUES, consultant leurs montres. — Voilà déjà vingt minutes que les 468 sangsues sont posées. Nous comprenons de moins en moins.
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — Vous allez comprendre ! J’enlève maintenant toutes les sangsues. Le collectionneur de coquetiers n’a plus une goutte de sang dans les veines.
DEUXIÈME, ET TROISIÈME BANDITS TRAGIQUES. — Nous comprenons ! Nous allons pouvoir maintenant le poignarder sans crainte d’effusion de sang.
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — Vous avez deviné. Poignardons notre victime. (Ils poignardent le collectionneur de coquetiers.) Pas une goutte de sang répandu. C’est merveilleux !
TROISIÈME BANDIT TRAGIQUE. — C’est merveilleux, mais le cadavre ? Comment comptes-tu le faire disparaître ?
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — Il va disparaître grâce à l’énorme serpent boa contenu dans cette deuxième valise. (Il ouvre sa deuxième valise et fait sortir le boa. Il lui montre du doigt le corps de la victime.) Mange, Vincent !
DEUXIÈME ET TROISIÈME BANDITS TRAGIQUES. — Vincent ?
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — Oui. C’est le nom de mon serpent.
DEUXIEME BANDIT TRAGIQUE. — Le boa vient d’absorber complètement notre malheureuse victime. Mais le serpent lui-même devient une preuve de notre culpabilité. Son corps, démesurément dilaté, attirera certainement l’attention. Il nous est impossible de le transporter dans cet état.
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — J’ai tout prévu. Je prends dans la poche de mon pardessus cette tête de lapin que j’attache à l’extrémité du corps de Vincent.
DEUXIÈME ET TROISIÈME BANDITS TRAGIQUES. — Pourquoi ?
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — Pourquoi ? Regardez. Mon serpent commence à fasciner la tête de lapin attachée à sa queue. Il rampe lentement vers elle. Sa gueule s’ouvre toute grande. Trompé par mon stratagème, il s’avale lui-même, croyant avaler un lapin.
TROISIÈME BANDIT TRAGIQUE. — C’est extraordinaire. Il s’est déjà avalé à moitié. Il ne forme plus qu’une minuscule couronne sur le plancher de la chambre du crime.
PREMIER BANDIT TRAGIQUE. — Et le voilà complètement avalé. Plus de cadavre, plus de boa, pas de sang, pas de traces du crime. Nous pouvons sans crainte nous emparer des « filets or » des coquetiers.
(Ils s’emparent rapidement des « filets or », sortent de la chambre du crime et s’éloignent dans la nuit.)
RIDEAU
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Caju — Le Journal, 14 avril 1912