La Terre dans 40 ans | Bois Pouna (1892)

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Pour accompagner la parution de Demain, l’écologie ! voici une chronique fantaisiste de Bois Pouna qui vous donnera le ton de ce qui vous attend dans le livre…

Si les choses continuent, dans quarante ans, la Terre sera devenue inhabitable… pour un philosophe, un poète ou un artiste !

La nature, la vraie nature, n’existera plus nulle part. Le sol, remué et fouillé à outrance, excité par des engrais de plus en plus chimiques, ne produira plus que des denrées sans saveur et malsaines. On cherchera en vain les beaux arbres. Le dernier titan du règne végétal sera depuis longtemps tombé sous la hache barbare ! Des déboisements idiots auront bouleversé les différents climats de la planète. On n’assistera plus qu’à des sécheresses prolongées ou à des déluges effroyables ! Les saisons n’auront plus leur cours régulier ; elles ne l’ont plus déjà.

Les villages auront perdu complètement cet aspect rustique et pittoresque qui faisait leur charme, et que tous les architectes du monde ne sauront jamais reconstituer. Toutes les maisons y seront semblables, prétentieuses, sans style et sans poésie. Les habitants des campagnes seront habillés, parleront, gesticuleront et penseront exactement comme ceux des villes. Les races d’animaux domestiques seront toutes les mêmes, perfectionnées suivant la plus habile sélection, fournissant des viandes fades et artificielles. Les vins, les cidres, les bières, les fruits, les légumes auront de l’œil, du volume, de l’apparence, mais ne vaudront rien pour le gourmet.

On ne pourra plus manger un bon morceau, ni boire un bon verre de quelque chose : tout sera, falsifié, drogué, sophistiqué, atrocement chimiqué !

Les oiseaux auront presque tous disparu de la surface de la Terre, et ce sera un phénomène rare que d’entendre le chant du pinson, de la mésange ou de la fauvette.

Le poisson d’eau douce et le gibier ne figureront que pour mémoire sur la carte des restaurateurs de l’avenir. En revanche, il y aura beaucoup de chats, beaucoup de rats, beaucoup de chiens, pas mal d’hydrophobes… et des insectes nuisibles en quantité !

Toutes les villes de l’Univers se ressembleront. Il restera bien encore, par-ci par-là, quelques vieux édifices d’autrefois, mais ils seront masqués, pour la plupart, par d’immenses bâtisses absurdes. Ceux qui seront bien en vue auront un cadre tellement peu en harmonie, qu’ils paraîtront ridicules et tout à fait dépaysés ; ils se sentiront démodés, hors d’emploi et bons tout au plus à reléguer aux antiquailles, avec les vieilleries d’un autre âge. Les cérémonies religieuses, s’il s’en fait encore, sentiront le rococo, le rance, le moisi, avec de faux airs de rajeunissement, et d’allures modernes bien vingtième siècle. On ne saura même plus sonner les cloches, si l’on daigne encore ébranler l’airain sonore !

On ne pourra plus faire un pas chez soi, ni hors de chez soi, sans se heurter à un fil plus ou moins foudroyant. Des tubes et conduits, de toute espèce et de tout diamètre, encombreront le sous-sol des rues, les égouts, le dessous des trottoirs, les murailles des bâtisses et jusqu’aux plus minces cloisons, menaçant sans cesse d’inondations, d’écroulements, d’explosions et de mort, les infortunés de la civilisation outrancière de l’an de grâce 1932.

Le pétrole, la pétroline, la gazéoline et tous leurs dérivés et succédanés, régneront en maîtres dans les logements et dans les rues, avec les gaz nouveaux, épurés et subtilisés, faisant concurrence par leurs immenses perfectionnements, aux différentes lumières électriques à petit, à moyen et à grand foudroiement.

Dans trente ans, les hommes auront trouvé le moyen de s’escoffier en masse, à des distances considérables. — Deux armées en présence seront deux armées perdues ! La grande tactique de l’avenir consistera à surprendre son adversaire la nuit, et à l’exterminer du haut des nues, en quelques minutes ! L’homme pourra tuer son semblable rien qu’en l’abordant et en lui donnant une poignée de mains traîtresse, ou-même à distance, en lui lançant sournoisement un jet électrique mortel.

Il pourra aussi, à son choix, l’hypnotiser, l’anesthésier, l’induire en catalepsie, léthargie ou épilepsie, rien qu’en le regardant d’une certaine manière, avec accompagnement de fluides magnétiques.

À cette époque, les eaux des rivières et des moindres ruisselets seront tellement contaminées par les déjections des usines… des particuliers, qu’on ne pourra plus en boire une goutte sans être empoisonné. — Les microbes auront la part belle au vingtième siècle ! — L’homme n’ingurgitera que des boissons horriblement travaillées et, pour faire la cuisine, il ne se servira que d’une eau qu’on aura préalablement filtrée et fait bouillir à gros bouillons pendant au moins un couple d’heures.

Il va sans dire que l’air sera infect, tant il y aura d’usines, de mines et d’ouvertures faites au sol, que la santé générale sera exécrable, la folie endémique et que de nouvelles maladies, très contagieuses et en nombre respectable, viendront démontrer à l’homme qu’il n’est décidément qu’un pauvre hère et un triste coco !

Si, avec tout cela, l’humanité atteint le vingt-et-unième siècle — sa majorité dans l’ère chrétienne — elle aura de la chance !

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Bois Pouna, « La Terre dans 40 ans. Chronique fantaisiste », in La Fraternité, journal hebdomadaire, organe des intérêts d’Haïti et de la race noire, Paris, deuxième année, n°30, mars 1892

Roxane Lecomte
Plus connue sur la toile sous le nom de La Dame au Chapal, arrivée chez Publie.net fin 2011, graphiste, est responsable de la fabrication papier et numérique, est passionnée de littérature populaire et d'albums jeunesse. N'a pas peur de passer des nuits blanches à retranscrire des textes sortis des archives du siècle dernier.

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